Dossier

Grovers Mill

- Un certain octobre-

Pièce pour quintette de percussions

et composition sonore .

 

Isabelle BERTELETTI

Jean Christophe FELDHANDLER

Florent HALADJIAN

LE QUAN Ninh

 

Daniel KOSKOWITZ

 

Si la création artistique est le reflet de son temps, il n’est pas étonnant qu’elle soit complexe et diversifiée. Plus la conjoncture est tendue, plus les courants esthétiques sont violemment contrastés.

Si la création musicale est nourrie des préoccupations contemporaines à sa genèse, il n’est pas surprenant que sa progression soit concomitante aux grands bouleversements de la condition humaine.

 

Qu’elle soit projective ou analytique, qu’elle émerge d’une pensée intuitive ou qu’elle découle d’une volonté de synthèse, la musique est liée à son époque  ; la musique est à l’écoute des courants de pensée, des idées, des impressions ou sensations, même non-dites, mais omniprésentes dans une société en constante mutation.

Qu’elle soit dans l’air du temps ou qu’elle réagisse en opposition aux modes, la création est d’autant plus pertinente et énergique que l’avancée technologique, sociale ou politique est vivace.

 

Le 30 Octobre 1938, Orson Welles avec le Mercury Theatre qu’il dirige, présente dans son émission radiophonique hebdomadaire sur la CBS, une adaptation du roman de Herbert George Wells, La guerre des mondes.

Des milliers d’américains partent sur les routes en abandonnant leur bien pour fuir les envahisseurs venus d’une autre planète.

 

De 1929 à 1938, les Etats Unis vécurent une décennie des plus tourmentée. Sortant de dix ans d’apparente prospérité due à l’essor industriel apporté par la première guerre mondiale, le marché américain, entièrement tributaire des investissements européens, s’effondre lors de la crise boursière du Jeudi noir. Crédits internationaux non remboursés, surproduction non écoulée, commerce intérieur saturé et ouverture vers l’extérieur bloquée pour cause d’instabilité sociale sur le vieux continent, l’économie américaine, qui a bâtie son expansion sur des promesses de remboursements qui se transforment en leurres, mesure avec accablement l’état de son déséquilibre.

Dés 1929, les Etats Unis multiplièrent les plans sociaux, les aides gouvernementales, les restrictions pour résorber la progression incontrôlable du chômage, alors que l’Europe assistait à la montée du nationalisme en Allemagne, en Italie et en Espagne.

En 1935, Thomas Mann préside la fondation pour la protection des écrivains allemands. Les Etats Unis deviennent une terre d’asile pour tous les artistes fuyant l’avancée du régime nazi. L’Allemagne venait depuis un an de déclarer qu’elle ne payerait plus ses dettes de guerre. On brûlait des livres sur les places publiques depuis 1933. En 36 à New York, les Dada et les Surréalistes s’exposaient, alors qu’en 37 à Munich, on dénonçait  -L’art dégénéré-.

Franklin Roosevelt qui prônait depuis deux mandats présidentiels la paix et la limitation des investissements militaires, décide au début d’Octobre 1938 d’intensifié le réarmement américain.

 

Issu d’une formation scientifique, Herbert George Wells s ’essaya, dans un premier temps au journalisme et à la rédaction d’articles spécialisés. La teneur quasi prophétique de ses écrits se butèrent au scepticisme de ses pairs, et le fit s’orienter vers le roman fantastique dont la justesse de prévision étonne encore aujourd’hui.

Quand il rédigea en 1898 l’invasion de la terre par les martiens avec une profusion de détails techniques, n’était-il pas simplement perceptif aux prémices des conflits qui allaient marquer le début du 20ème siècle ?. Il fallut attendre Orson Welles, un autre génie visionnaire maîtrisant parfaitement les médias de son époque, pour que ce roman, prenant la forme d’un reportage journalistique sur les ondes d’une radio nationale, se fasse le révélateur d’une angoisse sourde dormant dans le cœur d’une population oppressée.

 

A l’image d’une composition musicale, l’œuvre de Herbert George Wells est basée sur une narration dramatique se déroulant sur une durée continue, et sur l’utilisation (volontaire ou non) de symboles ancrés dans l’inconscient culturel  : Mars et la Terre, le feu et l’eau, la guerre et la fécondité, le masculin et le féminin. La figure emblématique du triangle (par l’intermédiaire du trépied) pris comme référence d’un élément étranger, conduit l’analyse artistique jusqu’à la théorie du Nombre d’or, qui résume à lui seul l’opposition des ténèbres et de la lumière.

Quant à l’affrontement du rouge et du vert, récurrent tout au long du récit, il est décrit par Van Gogh lui-même comme étant : 

« Le contraste qui traduit le mieux les passion humaines. »

 

Grovers Mill, pièce pour quintette de percussions et composition sonore, s’articule autour de deux visions parallèles d’un fait divers :

- Le déroulement suggéré de la pièce radiophonique du Mercury Theatre conduit par Orson Welles, et au travers elle, du roman La guerre des mondes de l’anglais Herbert George Wells.

- L’évocation du contexte culturel (essentiellement musical), de la période allant du Jeudi noir d’octobre 1929, au dimanche 30 octobre 1938 (date de la diffusion de l’émission sur le CBS), par des emprunts aux créations de compositeurs en activité aux Etats Unis dans cette décennie de référence.

Ces emprunts sont travaillés, structurés entre eux comme une matière sonore brute, et non présentés comme des citations anecdotiques.

Le résultat de ce travail (enregistré pour la diffusion) est en relation direct, tant sur les timbres utilisés que sur la construction, avec les partitions de deux des percussionnistes qui gèrent en partie des sons synthétisés, numérisés ou échantillonnés.

Les trois autres instrumentistes forment un ensemble acoustique plus conventionnel, ponctuellement traité par effets numériques.

L’ensemble de l’installation présente deux relations instrumentales tripartites conjointes dans une même composition.